Pourquoi avons-nous besoin d’un tel programme inédit ? Pour 4 raisons, affirme Van Parijs :
✔ L’Europe n’a pas de mécanismes tampons
similaires à ceux que l’on trouve aux USA et qui se substituent à des
ajustements de taux de change pour les Etats individuels. Le premier est
la migration entre Etats. La proportion de résidents des Etats-Unis qui
se déplacent d’un Etat à un autre dans n’importe quelle période donnée
est 6 fois supérieure à celle des résidents de l’UE qui se déplacent
d’un Etat membre à l’autre. Notre diversité linguistique est une
contrainte qui implique qu’il sera difficile d’espérer une
intensification des mouvements migratoires.
Le second mécanisme tampon de la zone
dollar vient des redistributions entre Etats effectuées par l’Etat
providence fédéral. Lorsque le Michigan ou le Missouri souffrent
économiquement, entre 20% et 40% de leurs dépenses sociales, sont de
facto prises en charge au niveau fédéral. Dans l’UE, les transferts
d’ajustement entre les Etats membres comptent pour moins de 1%. Pour
être viable, notre union monétaire doit se doter de ses propres
mécanismes tampon, et ceux-ci pourraient s’assimiler à un eurodividende.
✔ La diversité linguistique et
culturelle du continent européen fait qu’il est compliqué et coûteux
pour les communautés de migrer entre les différents Etats-membres.
L’intégration dans un nouveau pays est plus longue, elle réclame des
ressources sur les plans administratif et éducationnel, et elle crée des
tensions plus durables que celles que les citoyens américains ont à
subir lorsqu’ils changent d’Etat. Mais si des transferts automatiques,
du type d’un eurodividende, étaient prévus du centre de l’Europe vers sa
périphérie, les gens n’auraient plus besoin de migrer en aussi grand
nombre. L’immigration serait donc plus digérable pour les pays
accueillants, et moins affaiblissante pour les pays de la périphérie qui
subissent cette fuite des cerveaux.
✔ La libre circulation des capitaux, des
biens et des services et des personnes au sein de l’UE amenuise la
capacité des Etats à opérer les redistributions qu’ils faisaient par le
passé, et qui leur permettaient d’assurer leurs priorités démocratiques,
et la solidarité entre leurs citoyens. De plus en plus, ils sont
contraints de veiller à leur compétitivité, comme des entreprises, pour
attirer les capitaux et les cerveaux, et limitent au maximum leurs
dépenses sociales. A moins que l’UE ne mette en place un mécanisme tel
que l’eurodividende, les pouvoirs des Etats-providence et leur diversité
seront de plus en plus rabotés par la nécessité de cette compétition.
✔ La création d’un eurodividende
pourrait renforcer l’attrait de l’Europe pour les citoyens européens, et
lui permettre de ne plus être considérée comme une bureaucratie sans
cœur.
Van Parijs envisage également les critiques qui pourraient être formulées à l’encontre de son eurodividende :
✔ Pourquoi faire appel à la TVA pour
financer un tel mécanisme, et pas à une taxe Tobin, ou une taxation
basée sur les revenus, par exemple ? Tout simplement parce que la TVA
n’est pas progressive, elle varie assez peu d’un pays à l’autre, ce qui
pourrait assurer une certaine égalité de traitement. En outre, comme
elle permettrait de lever bien plus de fonds, elle serait plus efficace.
✔ On pourrait faire appel à des
dispositifs spécifiquement adaptés à chacune des 4 problématiques qui
justifient la création d'un eurodividende. Mais l’eurodvividende aurait
le mérite de simplifier et unifier la réponse à apporter à ces 4
raisons, et donc, d’être bien plus facile à gérer.
✔ Enfin, beaucoup objecteront qu’il
serait injuste d’allouer des revenus à des gens sans contrepartie. Mais
Van Parijs explique que l’eurodividende correspondrait en fait à une
juste redistribution des fruits de l’intégration européenne.
Actuellement, rien n’est fait pour compenser le citoyen européen du fait
qu’il n’y a plus de guerre en Europe, ni de coûts associés ; pour lui
reverser une part des gains réalisés par les entreprises en raison de
leur concurrence accrue, ou de la plus grande mobilité des facteurs de
production pour une plus grande productivité. On ne sait pas quelles
sommes ces conséquences de l’intégration européenne ont permis de faire
gagner, mais ce que l’on sait, c'est qu’elles ont été réparties de façon
très inégale au sein de l’UE. La création d’un eurodividende serait le
moyen le plus simple de s’assurer que chaque européen pourrait retirer
un bénéfice tangible de ces résultats.
« Est-ce utopique ? Bien sûr, de même
que l’Union Européenne elle-même était utopique il n’y a pas encore si
longtemps, et autant que l’était le système de sécurité sociale avant
que Bismarck n’assemble les premières pierres de sa fondation. Mais le
système de pension de Bismarck n’est pas né de ses bons sentiments. Il
l’a créé parce que les gens ont commencé à se mobiliser en faveur de
réformes radicales dans tout le Reich qu’il tentait d’unifier. Qu’est ce
que nous voulons? », conclut Van Parijs.